Des baleines à en perdre haleine

Hei, 

Depuis maintenant quelques années, de plus en plus de baleines à bosse prennent l'habitude de se rapprocher de l'île de Kvaløya durant la période hivernale. Après avoir passé l'automne dans les eaux polaires de la mer de Barents et avant de se diriger vers des eaux plus tropicales pour la période du vêlage, elles peuvent ainsi rester au nord de la Norvège pendant quelques mois, habituellement de novembre à février. Elles se nourrissent ici d'innombrables poissons, jusque dans les fjords les plus reculés, et fascinent autant les touristes néophytes que les scientifiques locaux. La tendance est nouvelle et la concentration ne cesse d'augmenter. Il y a des haleines à en perdre baleine. Des baleines à en perdre haleine. 


Dans le fjord du chat (Kattfjorden), où j'habite depuis quelques temps, il n'y avait par exemple plus eu autant de baleines à bosse depuis près de 70 ans. 60 et 10, oui. Seuls quelques aînés sont toujours présents pour s'en souvenir, souvent avec beaucoup d'émotion dans la voix, dans le regard, dans le cœur, et le retour de ces créatures presque mystiques ne laisse bien entendu personne insensible : chacun y va de son commentaire et chacun veut vivre sa propre expérience. Les on-dit ne suffisent plus. Il faut du concret. Il faut entendre. Il faut voir. Il faut vivre. Mais puisque les baleines à bosse sont parfois tellement proches des habitations qu'il serait difficile de ne pas les apercevoir, il est entre nous inutile de se presser. Oui, il y en aura bel et bien pour tout le monde.


S'il demeure compliqué de rater un éléphant dans un couloir, manquer une baleine à bosse dans un fjord au nord de la Norvège n'est pas non plus chose aisée. Imaginez alors un peu quand il y en a des dizaines, des douzaines ou des vingtaines. Il suffit ainsi parfois de lever la tête et de regarder par la fenêtre pour les voir jouer au loin. Discuter. Danser. Barboter ? Je fais la vaisselle, je jette un coup d’œil dehors, je tombe sur des baleines à bosse. Original, d'autant plus que cette logique marche aussi très bien avec les discussions au téléphone, les vidéo-conférences sur Skype, le ménage, le repassage, le pliage des slips et des chaussettes, l'écoute de votre album préféré, les parties de cartes, les apéros, les dégustations de délices locaux, les épisodes de votre dernière série coup de cœur ou plus simplement la lecture. 


Durant l'hiver, les baleines à bosse font donc presque partie de notre quotidien. Elles sont nos voisines et il faut avouer que la cohabitation se passe relativement bien, même si elles nous réveillent aussi parfois en respirant étrangement et bruyamment au beau milieu de la nuit. La discrétion n'est pas la qualité principale de la baleine à bosse, mais l'essentiel est certainement ailleurs. Perturbant puis amusant, hallucinant puis apaisant, pouvoir être interrompu dans ses rêves les plus profonds par une baleine à bosse a quand même un certain cachet, je dois l'admettre. Au fond, je suis même convaincu que distinguer très clairement le souffle d'une telle créature a de quoi faire frissonner n'importe qui : la vibration de l'air, le jet d'eau qui retombe, l'écho qui remonte le long de la paroi rocheuse, il y a des sons particuliers qui restent gravés dans les mémoires.


En mer, il est peut-être encore plus facile d’interagir avec elles. Pour améliorer ses chances de trouver des baleines à bosse et de gagner cette entraînante partie de cache-cache aquatique, il est toutefois conseillé d'avoir des jumelles de qualité et d'appeler les pêcheurs des environs pour obtenir des informations fraîches et fiables. Une fois les baleines à bosse détectées sur le radar, il est primordial de s'approcher lentement de la zone en question et de garder une distance raisonnable pour éviter de stresser les animaux. C'est aux baleines à bosse de montrer leur intérêt et de venir vers le bateau, et surtout pas l'inverse. On observe la baleine dans son milieu naturel et on ne la harcèle pas. En d'autres mots, on ne plaisante pas avec le bien-être de l'animal qui est ici pour se nourrir avant de continuer sa longue migration. 


Une fois en place, cependant, le suspens ne durera jamais très longtemps. Si elles en ont envie, les baleines à bosse se rapprocheront rapidement de nous pour nous sortir le grand bleu. Le grand jeu. (Surtout pas le grand Je, trop nombriliste). Gracieuses, majestueuses, avenantes, elles n'hésiteront pas à se déplacer doucement autour de notre petite embarcation pour nous charmer et nous attendrir comme il le faut. Presque comme un flirt. Presque comme une caresse. Presque comme si elles savaient exactement ce que nous attendions d'elles. Elles se mettront peut-être sur le dos et agiteront leurs nageoires de manière nonchalante en notre direction. Ou bien, elles sortiront timidement la tête hors de l'eau pour nous fixer droit dans les yeux. Calmement. Tendrement ? Baleines coquines, baleines malignes, baleines taquines.


Mais mine de rien, rencontrer des baleines à bosse en mer aura toujours quelque chose de déconcertant, de magique, d'émouvant. Cela se méritera aussi, d'une certaine manière. Il faudra par exemple savoir prendre sur soi quand ses doigts frigorifiés ne répondront plus au moment de déclencher l'appareil photo, quand ses propres larmes gèleront instantanément sur son visage ou quand le vent polaire du nord de la Norvège traversera ses vêtements les plus modernes jusqu'au plus profond de sa chair. Se retrouver au plus près de ces animaux sera profondément décontenançant, mais si on pourra facilement se sentir minuscule, petit, fasciné, insignifiant, humble, incrédule, privilégié ou plus simplement chanceux, on ne se sentira pour autant pas en danger. Malgré ses 15 mètres et ses 25 tonnes, la baleine à bosse n'est pas de nature menaçante. Respectez la baleine. Reine, sereine, elle vous respectera en retour.


Ha det !

Léon

Commentaires

  1. J'espère un jour avoir la chance d'en voir. Un de mes amis qui habite Noumea en nouvelle Caledonie a observe parfois. Puis il y a la patagonie aussi ! Merci en tout cas pour toutes ces photos et belles videos de Baleines.

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  2. On a vu deux grands cachalots en Nouvelle-Zélande. C'était un moment magique et comme tous les moments magiques, on aimerait en revivre encore et encore (égoïstes que nous sommes ;) ) J'espère qu'on aura de la chance avec les baleines si on part en Norvège cet hiver. Merci encore pour ta réponse sur Instagram, je ne connaissais pas ton blog directement. Juste la team Givré. Je m'en vais lire les autres articles sur la Norvège!

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  3. Cette destination fait vraiment rêver !

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